On ordonna de mettre aux embarcations. Deux étaient cassée par l'abordeur et l'on essayait de mettre les autres à la mer, quand un craquement horrible se fit entendre. Le grand mât, qui avait son grand hunier, qui avait ses haubans tribord cassés, se pencha par le fait du vent, et tomba sur babord écrasant sur le pont une quarantaine de personnes, en écrasant aussi une trentaine montés dans les canots du même côté. Dans sa chute, il entraîna le mât d'artimon. J'étais donc à côté. Je l'ai vu osciller et s'étendre sur le pont où il sema encore la douleur et la mort. Ah! quel affreux spectacle, et quels cris déchirants, c'était les cris de gens saisis d'effroi, de gens qui agonisaient, de gens blessés. Bref, ce grand navire avec son seul mât de misaine debout encore était affreux. Ses cordages, les éclats de bois, les tuyaux des cheminées, tout sur le pont recouvrait les pauvres diables, et les empêchait de se dégager. Et cependant, La-Ville-du-Hâvre baissait toujours. L'eau se précipitait dans la cale, dans le faux-pont, l'on entendait qu'elle était presque rendue au pont. C'est alors que je jetai ma chemise de laine, élevai ma pensée au ciel, et me recommandai à Dieu en me jetant résolument à l'eau. L'eau était-elle froide? je n'en sais rien, je ne me le rappelle pas. J'avais fait quatre brasses, j'étais à cinq mètres de "La-Ville-du-Hâvre", qu'un craquement nouveau se fit entendre, des cris déchirants vinrent me fendre l'âme, le navire sombrait. J'ai eu le courage, ou mieux le sang-froid de me retourner pour voir cette belle horreur. J'ai vu ce bateau de 131 mètres de long et 4.500 tonnes, englouti par l'Océan. J'ai entendu ces hommes, ces femmes et ces chers petits bébés se débattre avec la mort. Vains efforts, il sombra par l'avant, lentement, en quatre secondes la mer vint recouvrir ce vide, et rien ne dit que "La-Ville-du-Hâvre" était passée par là. C'est ainsi que périrent un grand nombre de femmes et d'enfants.